Consultation de l'article mis en ligne le 02 décembre 2024

Aujourd’hui, je ne vois plus jamais le sol

« Aujourd’hui, je ne vois plus jamais le sol » : que nous enseigne le marégraphe du Crouesty sur la montée des eaux du golfe ?

Par Caroline Lafargue

En 2025, l’agglo de Vannes installera deux marégraphes dans le golfe du Morbihan. Il en existe déjà un, au Crouesty, depuis 2002, qui prédit les marées. Sur le long terme, les décideurs misent sur ces trois instruments pour analyser la montée du niveau du golfe.

Le port de Locmariaquer inondé par la tempête Céline, le 29 octobre 2023. Ce jour-là, les niveaux d’eau étaient bien plus élevés à l’intérieur du golfe qu’au Crouesty. D’où le besoin d’installer de nouveaux marégraphes à l’intérieur du golfe, « où les marées varient fortement, rendant difficile la prévision des hauteurs d’eau en cas de tempête », précise l’agglo. Photo : Maëla Gidouin
Le port de Locmariaquer inondé par la tempête Céline, le 29 octobre 2023. Ce jour-là, les niveaux d’eau étaient bien plus élevés à l’intérieur du golfe qu’au Crouesty. D’où le besoin d’installer de nouveaux marégraphes à l’intérieur du golfe, « où les marées varient fortement, rendant difficile la prévision des hauteurs d’eau en cas de tempête », précise l’agglo. Photo : Maëla Gidouin

Il monte, il monte, le niveau du golfe du Morbihan. C’est ce que constatent, de manière empirique, ceux qui travaillent les mains dedans. À Baden, Ivan Selo, issu d’une dynastie d’ostréiculteurs, voit « une différence claire et nette », par rapport au niveau des eaux à ses débuts : « Il y a plus de 30 ans, on voyait le sol régulièrement dans notre parc entre Gavrinis et L’Île-Longue. Aujourd’hui, je ne vois plus jamais le sol ». Et, assure-t-il, « le sol, lui, n’est pas descendu ».

À Larmor-Baden, le repère de Nicolas Crénéguy, ostréiculteur depuis 2006, est son terre-plein. « Quand j’ai commencé, l’eau ne venait sur le terre-plein que lors des tempêtes via la houle ou les vagues qui venaient s’y casser et le recouvrir partiellement, remarque-t-il. Aujourd’hui, dès que vous avez un peu de vent combiné à des coefficients de marée importants, l’eau passe un petit peu par-dessus régulièrement. Ce ne sont que quelques centimètres mais ça n’arrivait jamais avant ».

Le marégraphe : marées et niveau moyen annuel

Que dit la science ? Il existe un instrument qui mesure le niveau des eaux à l’entrée du golfe, l’unique et discret marégraphe du territoire, installé dans le port du Crouesty, à Arzon, depuis 2002. C’est l’un des maillons de la chaîne de marégraphes postés tout le long de la façade Atlantique. Avant cette date, des mesures y étaient faites, mais ponctuellement. « Il y avait un besoin de mesurer le niveau de la mer à cet endroit-là, pour pouvoir calculer le plus précisément possible les prédictions de marée à l’entrée du golfe du Morbihan », explique Nicolas Pouvreau, expert du niveau de la mer au Service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom), l’organisme officiel qui prédit les marées.

Le marégraphe fournit aussi des données précieuses pour calculer les niveaux moyens journaliers, mensuel et annuel. « Il y a des normes et des recommandations internationales, des méthodes de calcul. On récupère toutes les observations sur une année et puis on va calculer une moyenne ». Et pour sortir de l’équation un possible enfoncement ou soulèvement du sol, qui fausserait les calculs, « dans pas mal d’endroits on colocalise une antenne GPS, souligne l’expert du niveau de la mer, ce qui nous permet de vérifier la stabilité verticale du socle terrestre ».

Le niveau monte, mais la science veut plus de recul

Tout est en place pour monitorer le niveau de l’océan à l’entrée du golfe du Morbihan. Et pourtant, la science a sa propre temporalité. « Il va falloir se donner rendez-vous à peu près en 2040, annonce Nicolas Pouvreau. Parce qu’il faut disposer de 40 à 60 ans de mesures continues pour pouvoir tirer une première tendance sur l’évolution du niveau moyen des mers ». Pourquoi un tel recul ? « Les tempêtes sont des dépressions, et quand on a une pression atmosphérique inférieure à la normale, ça fait gonfler le niveau de la mer. En 2013-2014, par exemple, on a eu beaucoup de tempêtes, donc un niveau annuel moyen supérieur à la normale. On a des variations interannuelles liées à ces effets-là, et pour s’en affranchir, il faut pouvoir étudier des séries de longues mesures ».

Si l’on se risquait tout de même à calculer l’évolution des données du Crouesty, on constaterait sur une hausse de 10,6 cm entre 2002 et 2023. Avec, cependant, un trou conséquent dans les relevés, entre 2005 et 2010, où les mesures n’ont pas été jugées fiables, pour des raisons inexpliquées. Les chiffres à la hausse du Crouesty, bien qu’inexploitables pour le moment, suivent la tendance du plus vieil observatoire du niveau de la mer en Bretagne, celui de Brest. « Cet observatoire dispose de l’une des plus grandes séries au monde, avec des mesures remontant au début du XVIII siècle, et depuis on a enregistré une augmentation du niveau moyen des mers de 35 cm jusqu’à aujourd’hui ». Un niveau resté relativement stable jusqu’à la révolution industrielle. « Après 1880, on voit que ça commence à augmenter de l’ordre d’une quinzaine de centimètres au XX siècle, et depuis les années 1980, c’est de l’ordre de 4 mm par an d’augmentation ».

Deux nouveaux marégraphes en renfort

Pour renforcer la surveillance des eaux du golfe, l’agglomération fera installer deux nouveaux marégraphes au printemps 2025, l’un au fond du golfe du Morbihan, à Vannes, l’autre à l’entrée, dans le port de Larmor-Baden. En effet, celui du Crouesty, qui est plus sous dominante océanique, ne suffit plus. « Dans le golfe, les marées varient fortement, rendant difficile la prévision des hauteurs d’eau en cas de tempête, précise le service de prévention des inondations et des risques côtiers à l’agglo. Cela a été particulièrement visible le 28 octobre 2023 lors du passage de la dépression Céline, où les niveaux d’eau étaient bien plus élevés à l’intérieur du golfe qu’au Crouesty ».


Autre mission des deux instruments additionnels : mieux comprendre les niveaux d’eau dans le golfe, afin de raffiner les modèles de submersion, et, sur le long terme, « suivre l’évolution du niveau de la mer, ce qui nécessite au moins 30 ans de données ».

Mis en ligne le 02 décembre 2024 par jpl56

Origine : le Télégramme


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